Avertissement à l’attention de notre aimable lectorat, désireux de tenter l’expérience intellectuelle à laquelle nous l’invitons, à travers ce récit initiatique, censé le faire pénétrer au cœur des secrets de la sagesse du Machreq :
Pour que les choses bougent, à l’intérieur de soi, et afin que, dans les failles entrouvertes au sein d’un esprit curieux animé de la soif de savoir, se découvrent les trésors de sagesse dissimulés dans ces pages, il est nécessaire, comme pour toutes les fables, et avant d’en entreprendre la lecture, de déposer les armes des certitudes établies. Mais par-dessus tout, ne pourra vraiment saisir nos secrets, que notre lecteur qui possède un cœur pour entendre et des oreilles pour comprendre1.
Ainsi, nous espérons conduire notre lecteur averti sur le chemin que nous avons suivi, le faire nager dans la même mer où nous avons nagé, afin qu’il atteigne à bon port l’autre rive. Nous ne serions jamais arrivés à nos fins sans l’inspiration que nous ont donnée, à parts égales, nos illustres prédécesseurs Avicenne et Ghazâli. En revanche, nous souhaitons nous départir des influences d’Aristote, le Stagirite, dans l’entreprise qui est nôtre de révéler les secrets de la sagesse du Machreq, née dans une autre région du monde.
Pour cela, laissez-nous vous conter l’histoire de Beau-Vivant l’Éveillé (Hayy ben Yaqzân), de l’Aspirant (Asâl) et du Tyran (Salaman), qui tirent leurs noms d’un ouvrage d’Avicenne2.
Notes
1 – La préface de l’auteur, Abubacer (Ibn Tufayl) a été réduite dans notre libre adaptation. Le maître d’Averroès (Ibn Rushd) dévoile dans ce récit ce qui a influencé son élève, l’un des plus célèbres philosophes arabo-musulmans du courant de la falsafa, la philosophie arabe d’inspiration grecque. Contrairement à son élève, et à ce qui a été dit de lui, Abubacer ne s’inscrit pas dans ce courant. Il ambitionne, au contraire, de créer son propre courant de sagesse, baptisé du nom de la région du monde où est née la religion monothéiste, le Machreq, par opposition à la sagesse grecque apparue ailleurs. Il se distingue d’Aristote, qu’il critique abondamment dans le texte original de sa préface. Il se dit inspiré à parts égales par Avicenne, le grand médecin et philosophe arabe, et par Ghazâli, philosophe et mystique adepte du soufisme, la mystique musulmane. Les deux discours qui racontent la vie du « héros » de ce récit, Beau-Vivant l’Eveillé (Hayy ben Yaqzân), arrivent à une conclusion commune sur la spiritualisation de soi, qui a sans nul doute inspirée la pensée d’Averroès sur la relation de cohérence qu’il voit entre religion et philosophie, selon lui nourries au même sein, comme des « sœurs de lait ». À la phrase célèbre du Discours décisif, l’œuvre majeure d’Averroès, se réfèrent de nombreux philosophes occidentaux, dont Spinoza : « La vérité n’est pas contraire à la vérité« . Telle pourrait être la morale de ce récit.
2 – Les illustres prédécesseurs Platon, Aristote, Ghazâlî et Avicenne, ont des influences contradictoires, dans ce récit où l’auteur affirme se réclamer d’Avicenne et de Ghazâlî, en réfutant toute influence d’Aristote, qu’il ne porte visiblement pas dans son cœur. Néanmoins, les commentateurs ne sont pas unanimes sur ce point, étant donné que certains voient une influence de la philosophie grecque dans les écrits d’Avicenne, et même de Ghazâlî (lequel prétend pourtant réfuter les philosophes).
Les dix parties du texte des Arcanes (publication en cours) :
Partie [2]